Le défilé du convoi reprend vers 7 H suivant le même itinéraire que la veille, je vais à la messe à Chamery à 9 H et en revenant je rencontre un convoi se dirigeant vers Écueil, Sacy, etc. On est coupé avec Reims, pas un habitué n’est venu. En quittant Reims, les boches font sauter le pont de Vesle sur le canal et le pont de Soissons. Il subsistait aux abattoirs un
Maurice Houlon
groupe de miliciens et des allemands au foyer rémois.
Reims est atteinte et dépassée.
Cette avance rapide, prodigieuse même, dit la radio, fait présumer qu’elle se réalise sans beaucoup de résistance. Mais, il faut si peu de chose pour détruire une maison, un bonheur, une vie Et ce sont neuf vies si chères que j’ai, là-bas, pour lesquelles je tremble et me réjouis à la fois, dans une ferveur que les mots seraient bien impuissants à décrire. Comment cette libération s’est-elle opérée ? Où étaient mes enfants ? Jacqueline et les petits sont-ils restés à Neufchâtel où revenus chez eux Et les voilà définitivement libérés ? De tout danger ?
Seize heure : On apprend à l’instant qu’à la suite d’une avance de 60 km en 48 heures, Amiens a été occupé par les Alliés. Les Canadiens sont à Rouen ! Enfin, Reims a été de beaucoup dépassé, l’avance atteint Vitry-le-François et Saint-Dizier.Jacqueline m’écrit : Ici, à Reims, ce fut littéralement miraculeux ! Après 5 ou 6 jours d’angoisse, d’énervement porté au paroxysme ! Que de canons braqués aux alentours de la maison, à la poste, rue Cérès, Boulevard de la Paix, dans notre propre rue. Puis nous les avons tous vu filer les uns après les autres et le 29 août à 17 h, couvre feu Atmosphère électrisée, un peu de fusillade, beaucoup d’explosion, canon au loin, qui se rapproche très fortement vers 9 h du soir. A 9 h 30 écoutons Sottens qui dit les Américains aux portes de Reims. Allons coucher rue Cérès. Nuit sans émotions, puis, à 7 h du matin le 30, sommes réveillés par des cris : » Les voilà, ils sont au théâtre ! Tout le monde en chemise paraît aux fenêtres et effectivement sur des tanks imposants, tranquillement ils arrivaient sous des ovations délirantes et sans plus de grabuge. Quelques coups de feu bien sûr, mais dans les faubourgs où quelques Allemands tenaient encore. En 1/4 d’heure Reims était pavoisé superbement et toutes les Françaises dans les bras (très accueillants) des Américains. Il faut reconnaître qu’ils sont très sympathiques et que malgré les ovations dont ils devraient être blasés, ils sont toujours souriants et prêts à un geste amical !
Marcel m’a écrit : il attribue l’heureuse libération de Reims à ce que leurs FFI bien encadrés et se rendant compte de la situation, se sont tenus calmes, faisant passer le salut de la ville et de ses habitants avant la gloriole de porter fusil ou brassard visible (ne voulant pas rééditer les erreurs de Paris ?).
Il m’annonce aussi la nomination du Docteur Billard comme maire de Pierre Schneiter comme sous-préfet. Hélas ! Il m’apprend que le frère de ce dernier, André, échappé par une audace extrême aux Allemands qui voulaient l’arrêter chez lui, en décembre/janvier dernier a été repris par eux et a été fusillé !
Et Marcel ajoute, avec son sens merveilleux de l’amitié :
« Pauvre garçon que j’aimais bien ! je l’avais rencontré fin mai dans un train allemand et il m’avait donné des conseils pour éviter de graves ennuis à la femme d’un autre ami mort également tragiquement, lui, sous les coups de la résistance, parce que ses convictions anti-bolchevistes l’avaient entraîné dans les rangs de P. P. F. Tous deux, opposés dans leurs idées, avaient un grand idéal et dans mon cœur, je les place sur le même plan mais combien d’autres pensent autrement et le plus malheureux parmi ceux qui, en paroles, prêchent la charité alors qu’ils n’ont au fond d’eux-mêmes que de la haine Quand je regarde autour de moi, quand j’entends certaines opinions, je constate que les yeux ne servent à rien à ceux dont le cerveau seul commande quand je vois la foule marcher vers le gouffre avec une folle euphorie, je bénis les Américains, je souhaite leur occupation pendant des lustres et je me tais. »
Pourtant, mon cher Marcel dont la sensibilité vibre à l’unisson de la mienne, ne peut s’empêcher de stigmatiser les horribles coupes de cheveux des femmes ! certaines coupables, d’autres innocentes, presque toutes victimes de rancunes ou de jalousies dénonciatrices Même pour les femmes de prisonniers, Marcel, comme moi souhaitait le pardon :
Sans compter que certains maris ignorant tout et qu’après 4 ans de guerre auraient peut-être été si heureux de ramasser, même dans le ruisseau, les miettes d’un bonheur perdu
Et je sens Marcel, devant ces excès et tant d’autres injustices, souffrant comme moi, de cette passion qui nous est commune : celle de la justice Il me parle d’arrestations lamentables et termine :
Trêves d’idées noires dans ces jours de liesse, vivons égoïstement au jour le jour et savourons à l’avance la joie que nous allons dispenser à notre ventre en brûlant nos cartes de pain
Berthe Brunessaux
Le mercredi 30 vers 7 heures du matin, on entendit les premiers chars américains rouler Place du Parvis, Place du Théâtre, rue de Vesle, Cours Langlet ; la foule se répandit immédiatement dans les rues et, à partir de ce moment, les unités motorisées ne cessèrent d’affluer.
Il n’y avait eu de résistance sérieuse qu’au Pont Huon, pont sur la canal vers Châlons, par lequel les chars américains arrivés la veille au soir durent passer, le pnt de Vesle étant sauté, et au Pont de Laon. Quelques Américains ainsi que quelques FFI furent tués.
Les derniers Allemands avaient quitté les alentours du pont de Vesle ce mercredi à 6 heures du matin.
Les dégâts se réduisent à la destruction du pont de Vesle, à celle du pont du chemin de fer de la ligne de Reims à Paris, au-dessus du canal (Pont de Soissons), à celle du Poste principal de signalisation de la gare de Reims. D’autres destructions partielles, la gare de voyageurs et quelques locaux grenadés par les Allemands avant leur départ se révèlent peu à peu.
En fin de compte, la libération de Reims s’est faite « sans mal ni douleur », notre ville ayant eu la chance d’être enveloppée par le Nord-Ouest et le Nord-Est au poit que les allemands n’avaient plus d’autre solution que de se retirer sans tenter aucune résistance; à moins d’être promptement débordés et encerclés. »
-Henri Druart
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Pendant cette période de la Libération de Reims, nous allons publier, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) de Berthe Brunessaux (1887-1963) et les notes d’Henri Druart : lire la présentation de Berthe Brunessaux et Maurice Houlon
Photographie : place d’Erlon, (collection Michel Laurain)