La porte de Mars

Cette vue a été prise du 1er étage du CIRFA (Service de Recrutement de la Marine). Merci à Dimitry Ronseaux, Premier maître, grâce à qui j’ai pu refaire cette vue.

A propos de la Porte de Mars

La Porte de Mars a les apparences d’un arc à trois baies mais, à la différence des arcs de ce type, le départ des voûtes est au même niveau, donnant une importance relative plus grande aux baies latérales et plus particulièrement au décor des voûtes. Par ailleurs la longueur remarquable (32,50 m) de l’arc que l’on souligne souvent est un élément qui nous permet de poser la question est-ce un arc dit de triomphe ? Caroline Blonce, dans une étude, publiée dans la Revue historique, sur la Porte Noire de Besançon et la Porte de Mars, ne s’est pas posé cette question : pourquoi deux arcs presque contemporains sont-ils aussi différents ? Le monument bisontin est un arc à une baie et deux étages, son décor envahit toute la surface et est composé de scènes de la mythologie surtout grecque. La Porte de Mars comprend trois baies et son décor est très structuré : le même schéma est répété sur les faces externes de piédroits. En 1970, Gilbert Picard signalait déjà que le décor n’était pas celui d’un arc de triomphe mais sans aller plus loin.

Ce dispositif superpose les formes suivantes : rectangle dont le grand côté est horizontal, puis rectangle dont le grand côté est vertical, puis triangle, et cercle. On a là un mouvement ascensionnel prolongé par la hampe au sommet de laquelle sont attachées deux draperies qu’entrouvrent deux putti. Ils illustrent l’apothéose et ce dispositif simplifié se retrouve sur des monuments funéraires.

Il convient d’identifier le décor dans la mesure où il est encore assez bien conservé ! Pour cela, nous avons numéroté les « faces » externes des piles du monument à partir de sa façade méridionale, celle tournée vers l’intérieur de la ville, en commençant par la face située la plus à l’ouest (F1) puis en faisant le tour de l’arc vers l’est et sa façade nord, vers l’extérieur de la ville.

Croquis d’après Narcisse Brunette

Pour le premier niveau (tableaux horizontaux) : il serait possible de voir sur la face latérale est (F 5) une scène de banquet funéraire (?)

Pour le deuxième niveau (niches verticales) : en F 1, Diane et Actéon ; il n’en reste que Diane dans l’attitude de l’Aphrodite de Doidelsas : c’est justement ainsi que le « canon » prévoit qu’on la représente.

F 6 : Hercule et Anthée devant Gaia (la Terre) et Minerve ; nous n’avons plus que ces deux derniers personnages visibles mais, avec un parallèle germanique, il est possible de l’identifier.

F 8 : Enée portant son père Anchise et tenant par la main son jeune fils Ascagne. En F 6, nous avons donc un exemple de Virtus, en F 8, de Pietas et en F 1, d‘Impietas.

Mais qui figurent, plus haut, dans les clipei (boucliers) tenus par deux putti s’appuyant sur le fronton de la niche ?

Nous proposons d’y voir les têtes des empereurs, du moins de ceux qui ont reçu le titre de divus en commençant par Jules César jusqu’à Lucius Verus (F 10). La tête assez bien conservée en F 4 correspond assez bien à celle de Vespasien.

Le décor des voûtes en commençant par les latérales (signalons qu’elles ont été restaurées en 1983, après analyse des matériaux afin de préciser le meilleur traitement par Michel Bourbon, sous l’œil de Mlle Frossard alors inspectrice des M.H., Jean Rocard étant architecte-en-chef des M.H et ayant consulté le spécialiste du monument) :

  • A l’est, Romulus et Remus tétant la louve avec, aux quatre angles, des Victoires ailées en train de graver sur des boucliers. A l’ouest, Léda et le cygne. Léda a donné naissance à deux paires de jumeaux.
  • L’arc central est orné du célèbre calendrier des travaux agricoles en partie conservé ; c’est le seul exemple sculpté conservé mais toute la partie sud a disparu à Reims .
    Au centre, Tellus Mater, divinité agricole romaine, et les quatre Saisons dans une représentation que l’on retrouve sur les monnaies : les scènes des mois représentées, dont certaines n’ont pas d’équivalent dans le monde romain, sont : saillie d’une jument, fenaison ( angle extérieur ouest) , cueillette des pommes et la moissonneuse (unique sur un tel monument), labour et chasse, pressurage du raisin, sacrifice des porcs (angle extérieur est), rentrée des provisions; on s’étonne de voir citée la tonte des moutons avec les porcs par les auteurs de la nouvelle histoire de Reims, alors que cette représentation dans des anciens dessins n’est qu’une hypothèse ! Sur la saillie de la retombée de la voûte des putti engoncés dans des calathos tiennent des guirlandes de fleurs et de fruits sur lesquelles se tiennent des cygnes.

Quel sens peut-on donner à cet ensemble ?

Des empereurs, comme le démontrent leur virtus, leur pietas, et sans doute leur clementia, ont manifesté leurs bonnes relations avec les dieux : d’où leur titre de divus. Ainsi ont-ils pu assurer au peuple la prospérité qui permet la joie de vivre ainsi que l’éternité et l’abondance. Sans doute faut-il voir dans la représentation des jumeaux une allusion aux « couples » de Lucius Verus et Marc Aurèle, puis, après la mort du premier, de Commode et Marc Aurèle. Cette hypothèse permet une datation avec assez de précision : après la mort de Lucius et avant celle de Marc Aurèle, soit entre 169 et 180.

Ce monument est donc non pas un arc dit de triomphe mais un monument élevé en l’honneur des empereurs. Il est dans la continuité rème de celui élevé aux princes de la Jeunesse et des colonnes du Jupiter à l’anguipède dont une devait se dresser à proximité. Il est sans doute aussi dans celle du monument élevé à Mars Camulus sans doute pour l’empereur, comme le monument connu par une inscription à Rindern dédié à cette même divinité pour le salut de Néron.

Mais pourquoi ce monument à cet endroit-là ? Nous avons tout autour des maisons d’une certaine richesse à ce que nous en savons par des éléments découverts : par exemple le buste d’un jeune homme (boulevard Foch) et la mosaïque des jeux du cirque (aux Promenades, détruite dans l’incendie de l’hôtel de ville en 1917). Mais surtout nous avons, au nord-est, un vaste et remarquable sanctuaire, dont des éléments ont été découverts rue Belin. Nous pensons pouvoir voir là, dans la périphérie de la ville, à la limite de la grande enceinte un sanctuaire en l’honneur de Mars Camulus. On peut relever que le cimetière dit de la rue de Neufchâtel est l’un des plus remarquables de la ville. Les découvertes le confirment amplement.

Qui est à l’origine du monument ? Sans nul doute la civitas mais à vrai dire c’est une élite empreinte de culture romaine mais qui ne semble pas renier ces divinités. L’appartenance de Titius Iucundinius à ce sacerdoce des Laurentes Lavinates aux sources mêmes des origines de Rome en est une preuve. Mais que ce personnage ait tenu à dédicacer un monument à Mars Camulus est le témoin de cette double appartenance.

On doit noter le succès que connaît le calendrier rural au moyen-âge. Henri Stern a montré que le thème du « sacrifice » (ou abattage du porc) est repris à Byzance sept siècles plus tard. Seule disparaît la moissonneuse, parce qu’elle n’a plus sa raison d’être. Les conditions économiques qui avaient permis sa réalisation ont alors disparu.

François Lefèvre, mai 2015. Un Châlonnais qui a étudié la Porte à Reims depuis 1970 (maîtrise de l’URCA)

En savoir plus sur le site du Reims histoire archéologie

Ci-dessous, la même vue de 2015 avant la réfection de la Porte :

Author: Véronique Valette

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