L’Hôtel de Ville le jour de l’invasion allemande du 4 septembre 1914

Il y a juste 110 ans. Ce jour là l’abbé Thinot écrit dans son journal :

VENDREDI 4 SEPTEMBRE ; 1 heure après-midi : Une matinée terrible.

Je me lève à 4 heures, cueille Poirier et nous allons Boulevard de la Paix voir s’ils arrivent ; personne !

Je vais dire ma messe.

A 9 heures -5, un coup de canon, deux coups ; ce sont les ennemis qui marquent leur entrée… d’autres coups, des sifflements hachés des éclats… Est-ce une canonnade à blanc ; est-ce un bombardement? Deux voisines accourent, affolées… les caves sont dangereuses… En sortirait-on ?

Je veux aller à la cathédrale, car c’est vraiment un bombardement. Je vais voir deux ou trois fois au grenier. Sifflements, éclats… Je ne distingue rien.

Je sors ; je marche sur des morceaux de fonte ; il n’y a plus de doute.

Je rentre à la salle-à-manger avec un matelas aux fenêtres ; les femmes tremblent… je fais descendre Melle Mathieu qui faisait mon lit. Nous prions… les sifflements ! le lourd tremblement du sol frappé non loin de nous !… C’est horrible.

Vers 10 heures 1/4, les coups s’espacent puis cessent. Le bombardement a duré une petite heure.

Je m’en vais par les rues désertes remplies d’effroi, parmi les persiennes fermées, jusqu’à la cathédrale. Partout des éclats devant la cathédrale, des débris de sculptures ; sur le parvis, un trou énorme… les pavés sont noirs tout à l’entour ; autre trou béant dans l’enclos du Palais de Justice. Une excavation remplie d’eau rue Robert-de-Coucy, en face Clignet, où les ingrédients chimiques répandus remplissent l’air d’une odeur inquiétante.

Là, l’obus est tombé sur une bouche d’eau. Le Courrier – la Coopérative – est criblé ; l’éclaireur de l’Est en ruines…

J’entre à la Cathédrale ; je tombe sur M. le Curé arrivé en pleine mitraille devant un parvis invisible sous la poussière. La cathédrale est remplie de poussière… les commotions de l’air ont été violentes. Les vitraux bas- côtés nord des petites nefs sont en écumoires. La grande rose a quelques trous, la petite (ouest) est plus atteinte. Le dernier vitrail de la galerie des Rois est éventré. Je ramasse les morceaux tombés pour les sauver.

Je fais un tour.

6  heures du soir ; spectacle lamentable, triste, triste ! Oh ! cet homme de la rue St.Pierre-les-Dames broyé avec son chien affalé sur ses genoux, parmi l’horrible désordre de la maison qu’un obus avait abordé en pleine porte cochère !

La tète broyée, vidée, les membres pantelants, dénudé jusqu’à la ceinture… ce pauvre chien éventré… un morceau couvert de poil en pleine rue… la cervelle du maître à côté ! J’ai pris le pauvre corps et je l’ai abrité au fond.

M. Landrieux passait ; nous avons dit un De Profondis.

Puis, c’est le lugubre pèlerinage rue St.Symphorien… rue Eugène-Desteuque… et tant de morts çà et là. St. Remi, St. André éventrées. Ah !c’est miracle que Notre-Dame soit épargnée ; les côtés et l’arrière ne l’ont pas été !…

Vers 4 heures, les troupes allemandes défilent. Point d’arrogance, point de fatigue… de la bonhommie… de la courtoisie. Telle est l’attitude de l’officier supérieur saxon que j’aborde Place Royale à la prière de plusieurs pour le questionner. Je l’accompagne jusqu’au Lion d’Or à la tête de ses troupes et je lui demande ce que signifie le bombardement du matin.

Je suis content que vous me questionniez… je vous donne ma parole d’honneur que c’est un malentendu déplorant, pour vous comme pour nous… question des parlementaires que nous ne retrouvions pas… c’était une batterie… j’ai fait cesser le feu dès que j’ai vu l’officier arrivant agité et criant d’arrêter… Dites à la population que nous serons calmes, que s’il n’y a aucune hostilité, nous ne ferons aucun mal… »

Ne parlait-on pas déjà d’un nouveau bombardement vers 5 heures ? Tout le monde s’affolait. Je rassure tout le monde. Cet officier m’a tendu la main ; je ne l’ai pas refusée ; il m’a paru très loyal.

Abbé Thinot

Vous pouvez aussi lire d’autres témoignages sur cette journée dans notre site Reims 14-18 (Paul Hess, Louis Guédet, Hortense Juliette Breyer, Gaston Dorigny, Paul Dupuy, Juliette Maldan, Marcel Morenco, Renée Muller).

Victimes des bombardements morts ce jour là :

  • AUCUIT Marcelle Renée Marie   – 7 ans, 28 rue d’Ay –
  • AUCUIT Suzanne Angèle Renée   – 3 ans, 28 rue d’Ay –
  • AUCUIT Yvonne Julienne Cécile   – 5 ans, 28 rue d’Ay –
  • CAUDRON Eugène Alfred   – 19 ans, 221 rue du Barbâtre – employé de tramways
  • CAUDRON Eugène Siméon   – 2 ans, 221 rue du Barbâtre – fils d’Eugène Alfred
  • CAUDRON Rose Léopoldine   – 24 ans, 221 rue du Barbâtre – épouse d’Eugène Alfred, Née REMY – ménagère
  • DUPONT Gaston Henri Jean    – 9 ans, 53 rue Simon, Domicilié 40 rue Tournebonneau
  • DUSSART Émilie Berthe   – 33 ans, 4 rue Saint-Bernard, décédée en son domicile
  • FAUQUET Gustave Lucien  – 1 mois, place Saint-Thimothée 1 mois – domicilié Rue Tournebonneau
  • FONDRILLON Ernest Léonard   – 62 ans, 9 rue Noël – 62 ans – employé – veuf – domicilié 54 rue du Mont d’Arène
  •  JUNGER René Paul   – 7 ans, Rue Libergier, domicilié 8 rue Souyn à Reims
  •  PASSAGE René François André   – 24 ans, 35 rue de Mars, Domicilié 5 rue de l’Université

Author: Véronique Valette

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *