Pendant cette période de la Libération de Reims, nous allons publier, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) et de Berthe Brunessaux (1887-1963)
Avant-Propos
« Journal de grand-père » mai à novembre 1944
Le « Journal de grand-père » est un journal manuscrit, personnel, rédigé par mon grand-père Maurice Houlon (1881-1966) sur une longue période démarrant en 1939 pour s’achever en 1963. Ce journal d’une famille rémoise, pour partie en temps de guerre, constitue aujourd’hui un témoignage intime de ce que furent en particulier les années d’Occupation durant la 2ème guerre mondiale à Reims.
Benoit HOULON
J’ai engagé ce travail de déchiffrage puis de transcription sur ordinateur en 2020 afin d’en faciliter la compréhension, d’en souligner la chronologie particulièrement entre 1939 et 1945, et réaliser un document agrémenté de notes bibliographiques pour une diffusion réservée strictement aux membres des familles Houlon et Robillot. Avec leur accord, deux exemplaires sont déposés à la Bibliothèque Carnegie.
A la demande de Véronique Valette, présidente de l’association « Reims Avant » j’accepte qu’un extrait de ce journal relatif à la Libération de la ville de Reims, expurgé de toute connotation trop personnelle, soit diffusé dans leur publication. La période concernée s’étend du mois de mai au mois de novembre 1944.
« Journal de Berthe Brunessaux, ma grand-mère maternelle »
Berthe Brunessaux, pendant toute la durée de la guerre s’était réfugiée dans son pays d’origine, Ivoy-le-Pré dans le Cher en compagnie d’une de ses filles, Jeanne-Marie Brunet, dite Janny, dont l’époux Maurice était retenu prisonnier en Allemagne pendant toute la durée de la guerre, sa petite-fille Agnès née en 1939, et la belle-mère de Jeanne-Marie, Fernande Millet qui mourra avant le retour de son fils en 1945.
— Véronique Valette
J’ai ajouté, à partir du 16 août, le témoignage de Henri Druart : ses notes ont été rédigées le 1er septembre 1944
Collection de la Société des Amis du Vieux Reims
Nuit du 7 au 8 mai 1944
Dans la nuit du 7 au 8 mai 1944, il gèle à -7°, tous les fraisiers sont cuite. Le 9 mai, il gèle à -5°. De fin avril à début mai, Carteret reçoit de 23 à 25 bombes de 250 kg, les vitraux de l’église sont brisés, la villa la Fourmi est écrasée.
Maurice Houlon
Lundi 8 mai 1944 – Le bombardement de Salbris
Cette nuit fut une initiation, pour la plupart des habitants d’Ivoy qui n’entendirent jusqu’ici que les coups lointains et sourds
Vers minuit 1/2, toutes les portes et les fenêtres se mirent à trembler violemment et l’on aperçut très nettement et fortement, de nombreux éclatements. Beaucoup de personnes se levèrent et montèrent vers le Patroyat d’où l’on voyait un horizon bombardé comme un couché de soleil. Quand le bombardement cessa, de très forts éclatements continuèrent, d’heure en heure. Bombes à retardement, pensions-nous. Tous nous crûmes que c’était Vierzon.
Je ne me levai pas, mais combien je me rapprochai de l’angoisse de tous les pauvres humains menacés dans le monde entier combien je me sentais plus proche de mes enfants de Reims, surtout de Reims qui sera sans doute encore visé
J’apprends que ce n’est pas Vierzon mais Salbris qui a été atteint. Les enfants de M. Boureux téléphonèrent de bonne heure pour supplier leurs parents de venir les chercher en auto, les petits-enfants étant toujours sous la terreur de cette nuit affreuse. Quelques heures après je pus parler à la jeune femme : le camp de Salbris a été très touché, des munitions nombreuses ont sauté, mais le plus important, une poudrière très bétonnée, très préservée, n’a pas été atteinte et sûrement le bombardement recommencera La maison du placement d’enfants où est Solange Meunier pour laquelle je m’inquiète beaucoup, n’a pas été touchée m’assure-t-on.
Les bombardements s’intensifient à un rythme accéléré. La Roumanie, Bucarest et la triste richesse si envié, et si peu enviable, des régions pétrolifères de Ploestr, constamment pilonnés. En France, non seulement les gares, mais les ponts sont visés et démolis. On se demande ce qui peu bien rester du Pas-de-Calais Les Anglais, m’a-t-on dit, commencent à donner leurs directives pour le débarquement que certains croient imminent. N’aurait-il pas lieu le 10 mai, en réponse au 10 mai 1940 où furent déclenchées les premières vraies hostilités de la guerre
Un observateur détaché, sans corps vulnérable, sans cœur accessible à l’angoisse, noterait avec intérêt cette lutte passionnée qui se livre en France même entre dissidence et collaboration. Les dissidents, réfractaires n’ayant pas voulu partir en Allemagne et tenant le maquis (que de maquis dans notre France pourtant sillonnée de routes, et si claire !), se groupent, armés et ravitaillés par les Alliés, et opposent une résistance acharnée aux forces de la milice et même aux Allemands. Nombreux morts dans les deux camps. Que n’apprendra-t-on pas plus tard sur l’horreur de cette guerre civile ?
Par la radio, les ondes portent appels et terribles menaces. Chaque jour, tous les policiers miliciens, magistrats, fonctionnaires servant le gouvernement de Vichy sont voués au dernier châtiment par la dissidence. Chaque jour, Philippe Henriot parle avec autant de force et de conviction que le camp adverse pour soutenir le gouvernement attaqué et lutter et appeler toutes les forces à la lutte contre le bolchevisme dont, à son avis, le triomphe des Alliés serait le triomphe.
Le comité de libération d’Alger vient de condamner à mort, et d’exécuter, Christofini qui fut le fondateur, en Afrique, de la légion africaine luttant aux cotés des Allemands. Vichy a promis des représailles sur les otages qu’il vient de faire arrêter. Alger promet, en représailles nouvelles d’autres exécutions si des exécutions de représailles ont lieu C’est atroce
L’Angleterre et l’Amérique viennent d’obtenir après bien des négociations, et sans nul doute bien des menaçantes pressions, que les neutres ne livrent plus de matériaux de guerre à l’Allemagne. La Turquie a cédé. L’Espagne vient de s’incliner la rage au cœur certainement
Et malgré cette concession, les Alliés signalent comme « Criminel de guerre » le commandant des légions espagnoles qui allèrent combattre contre les Russes. Les Russes alliés des Espagnols rouges de la guerre civile de 1936. Or, le commandant est actuellement aide de camp de France, chef de l’Espagne, lui-même vainqueur des Rouges. Il y a eu 1 an le 7 mai que les troupes italo-allemandes durent quitter l’Afrique.
Berthe Brunessaux
Lire la suite : jeudi 11 mai 1944