Vendredi 6 octobre 1944

Reims, le 6 octobre 1944
Mon Grand Jacques, Depuis ton message du 24 décembre dernier, daté de Dakar, nous n’avons reçu aucune nouvelle de toi : tu peux penser si nous sommes anxieux d’en recevoir.
Un renseignement puisé au Ministère de la Marine nous informe que désigné pour suivre des cours en Angleterre, tu dois t’y trouver actuellement. C’est pourquoi à tout hasard je t’envoie ce mot dans l’espoir qu’il te parviendra, grâce à l’extrême obligeance d’un officier d’infanterie coloniale, qui se rend par avion en Angleterre, et qui ne désespère pas de te la faire parvenir, bien que nous ne connaissons pas ton adresse.

Que d’événements et de malheurs depuis tes vacances passées en France. Tu as dû apprendre, par le message que nous t’avons envoyé aussitôt, la mort de notre petite Denyse, tuée au bombardement de Reims par l’aviation américaine le 30 mai dernier dans un abri avec 30 autres personnes dans le quartier de l’avenue de Laon, où elle se trouvait à ce moment comme élève de la Croix Rouge avec quatre autres de ses compagnes.

Le bombardement a eu lieu vers 11 heures du matin et ce n’est qu’à 5 heures du soir que son corps a pu être dégagé : tu peux penser le calvaire que nous avons subi pendant ces terribles heures d’angoisse et quel coup d’assommoir pour tous… Elle était si gaie, si vivante, elle savait si bien dominer ses peines et son chagrin de voir se prolonger la captivité de Pierre, dont elle préparait la réception à son retour dans les moindres détails. 15 jours avant sa mort, Annette et Yves avaient eu la douleur de perdre le petit Alain, 15 mois, en quelques heures, à la suite d’une opération de hernie, opération banale pour laquelle aucune complication n’était prévisible.

Les deux corps ont été conduits au cimetière de l’Est, auprès de leur grand père et où il reste, dans le caveau, une place réservée naturellement à grand-mère. Mr et Mme Michel, de Morlaix, Melle Anne, de Rennes sont venus à Reims pour assister aux obsèques de notre pauvre Denyse, l’arrêt subit des communications ferroviaires les a maintenus à Reims jusqu’à ces jours derniers où ils ont pu repartir enfin sur un camion de ravitaillement jusqu’à Paris; nous avons appris indirectement qu’ils avaient pu ensuite arriver à Rennes, et nous espérons dans quelques jours être renseignés sur la fin de leur voyage, car Annette et Yves, profitant de l’occasion d’une voiture, sont partis hier pour la Bretagne se rendre compte de la situation à Morlaix et à Carantec, nous laissant ainsi qu’à Colette le soin de nous occuper de leurs six gosses.

Faut-il te dire aussi que 15 jours après la disparation de Denyse, Annette atteinte de septicémie, nous donnait de grandes inquiétudes, heureusement qu’une transfusion du sang, pratiquée de suite, la mettait hors de danger; et pour compléter la série noire le jour même où elle se relevait, Yves qui s’était rendu à la Cathédrale, pour assister à une messe dite pour sa belle-sœur, était arrêté dans la rue par les Allemands et conduit avec une vingtaine de personnalités, à la prison de Chalons, où il ne fut détenu que 3 semaines alors que la plupart furent dirigés sur l’Allemagne, et dont on est sans nouvelles. Pas de nouvelles récentes de Saint Brieuc, mais il t’est possible de leur écrire, puisque cette région peut correspondre librement avec l’Angleterre.

Nous avons aucune inquiétude à leur sujet, et nous savons que la ville a été délivrée sans combat. Comme à Reims d’ailleurs, où tout laissait croire à une résistance, alors que le départ des allemands n’a été marqué par la destruction du grand pont de la rue de Vesle, et celui du chemin de fer près de la rue Tarbé, dont l’explosion a causé quelques dégâts aux deux immeubles de grand-mère.

Pour finir: grand-mère est toujours en bonne santé, ainsi que la famille Michel petits et grands, et que Colette, toujours si active et si dévouée. Quant à ta mère, je voudrais bien en dire autant : la mort de Denyse l’a bien éprouvée et elle n’arrive pas à surmonter son chagrin, malgré les médecins, son état ne s’améliore pas et j’en suis désespéré. En ce qui me concerne, je suis presque honteux, après avoir été sérieusement malade il y a 18 mois, de dire que je me porte bien.

Et toi, nous feras-tu la surprise de venir nous montrer à Reims que tu te portes bien aussi.Correspondance personnelle – Marcel GROSSEL – 6 OCT 1944

Merci à Emmanuel GUERCHAIS pour ce partage.



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Pendant cette période de la Libération de Reims, nous allons publier, au jour le jour, des extraits du journal de Maurice Houlon (1881 – 1966) et de Berthe Brunessaux (1887-1963) : lire la présentation de Berthe Brunessaux et Maurice Houlon

Author: Véronique Valette

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